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La bouteille d'encre noire renversée au fond de l'âme
18 décembre 2009

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  Attablée au fond de cette petite salle trouée par la blancheur des néons, mon chocolat chaud fumant sur la table.

  Je le bois à petites gorgées pour ne pas me brûler. Je suis installée seule, à la table la plus en retrait afin d'éviter les couples de toutes sortes, amis ou amants. J'ai les épaules courbées, je le sens. Lorsque j'ai demandé au vigile où était la cafétéria, je n'ai pas reconnu ma voix. C'est un timbre pâle et éreinté qui est sorti de ma gorge. On aurait dit que je murmurais, que ma voix avait gelé avec le froid. J'ai posé mon sac sur la chaise à côté et je fais glisser mon index sur le bord en plastique du gobelet. Je ne regarde rien de précis, mes yeux effleurent les contours et les couleurs sans rien en retenir, sans même les voir. Les larmes me montent aux yeux et je me dis que je ressemble à ces personnages féminins qui jonchent les romans que je lisais, lorsque j'avais encore le temps de lire. J'ai la poitrine essorée, les clavicules mâchées et lorsque je croise mon visage dans la glace, je ne peux que voir à quel point la fatigue s'est imprégnée dans mes traits. Je ne m'attarde pas dessus et sors rapidement des toilettes, j'ai l'air tellement « en-dehors » de moi. Pourtant habituellement, je suis étonnée de la constance de mes reflets. Je n'ai jamais retrouvé dans les miroirs les titubements que j'avais dans le ventre, jamais pensé que c'étaient des objets fidèles, ou si justement parce qu'ils ne disent rien ; ils gardent le secret, l'image reste lisse. Toujours est-il que le reflet aperçu il y a quelques minutes échappe à cette règle. Je m'en suis approchée afin d'être certaine puis je suis sortie, me suis enfuie. Mon reflet semblait aussi épuisé et pâle que je me sens. Ce qui signifie que la règle est brisée. Pour une fois, je ressemblais à ce que je ressentais. Alors que je suis installée face à ma petite table, les larmes me montent aux cils, je me tamponne le coin des yeux du bout des doigts. Je pense à lui que je vais rejoindre dans quelques heures. Les deux places de cinéma sont dans mon sac mais l'enthousiasme n'est dans aucune de mes poches. Je vais me laisser choir dans un fauteuil rouge dont je me relèverai lorsque la lumière se rallumera, je vais. Je me sens tellement immobile. Depuis deux jours qu'il n'y a plus d'échéances, plus de devoirs à rendre, je me sens dériver. J'ai envie de pleurer sur ces vacances qui n'en seront pas. Tout le monde en attendait la date mais c'est une duperie. Le travail à faire durant ces quinze jours est d'une ampleur qui me décourage. Moi aussi, je l'ai attendue cette date, j'ai regardé les semaines passer en y voyant un dénouement. Maintenant que nous y sommes, je n'y vois plus rien ; sinon les cahiers à ouvrir, les livres-pavés à lire, le retard à rattraper, le. Ça me scie les pieds.  Je ne peux pas. Je ne peux pas y être, en bas de la pente et remonter d'un coup et continuer. Me lever joviale et sympathique, me faire bouillir un thé en chantonnant dans la pénombre, chausser mes lunettes, ouvrir ma trousse et travailler. Il n'y a pas de pause, ce n'est pas vrai. Alors je reste plantée là, je me dis que ce n'est pas possible, qu'il doit y avoir une erreur, que quelque chose va se modifier dans mon dos. Je ne peux pas accepter de continuer le jeu au même rythme. On est tous épuisé, on a tous attendu ces vacances et voilà ce qu'il y en a. Une liste de choses à travailler qui dépassent largement le cadre des quinze jours. C'est une escroquerie dont je ne me relève pas. Et bien sûr que je vais le faire, que je vais passer une bonne moitié de ces vacances à travailler, à faire comme si c'était pareil, le sapin en plus, à me lever tôt pour m'installer à mon bureau, à y passer des heures entières. Rien que l'idée de savoir que ça va se passer comme ça me fige. Je pensais que ça serait différent, c'est ça que j'ai attendu. A ma table au fond de la salle, c'est pour ça que les larmes me sont montées aux yeux, je pensais sincèrement que l'air serait plus respirable mais j'ai toujours la même boule qui me serre la gorge. Je vais le rejoindre dans quelques minutes et face à ses yeux qui m'interrogeront sur ma distance, qu'est ce que je lui dirais ? Qu'est ce que je pourrais lui dire que je ne lui ai pas déjà répété ? Son boulot le fait rentrer en milieu de soirée, j'ai l'impression de ne pas le voir, de ne rien construire avec lui. Que fait-on de plus que se côtoyer ?

    La tête baissée sur mon chocolat fumant, oui je ressemble à ces héroïnes défaites présentes dans les romans qui s'étalaient dans ma bibliothèque et sur mon parquet : la solitude me hante.

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Commentaires
A
Moi aussi, je supporte de moins en moins. C'est comme être compressé. Ne plus supporter mais devoir et. Je me dis que c'est temporaire (sourire).
E
C'est tristement beau. Si beau.<br /> Pour avoir vécu ça un peu, je comprends et je te soutiens.<br /> L'être humain n'est pas fait pour ça. Rester des heures à un bureau et mettre sa vie sur pause. Du moins je sais que je ne suis pas faîte pour ça.<br /> Je supporte de moins en moins.<br /> Courage pour tout.
La bouteille d'encre noire renversée au fond de l'âme
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