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La bouteille d'encre noire renversée au fond de l'âme
21 juillet 2008

Au front

  Il y a un moment où il faut prendre les armes. Inspirer fort et bloquer l'air entre ses côtes. Etre courageuse, un peu. Cesser de mentir. Car nous mentons tous, au fond. Non, ne dites rien, vous savez. Arrêter de rire de son incapacité à aller au bout des choses et se pencher dessus. Soulever le voile et mettre les mains dans le cambouis âcre. Cet article a résonné en moi. Parce que cette notion de perfection, je l'ai gravée dans la chair. Je me revois, le corps sec, luttant pour me hisser. Des facilités, une aptitude, des notes honorables, des félicitations. C'est ma légitimité que j'achetais. Je m'arrachais la peau à la lutte parce que je crevais de ce sentiment de nullité qui ronge mon ventre. Je me sentais tellement en-deça de tout que j'avais l'impression qu'il fallait que je fournisse deux fois plus d'efforts pour être au même niveau que les autres. Pour pouvoir prétendre être à ma place. Je me suis retournée les ongles, mon corps s'est affiné comme une liane, mes joues se sont creusées, mes yeux se sont émiettés et je ne savais que plier mon esprit un peu plus rudement. Qu'il ploie, qu'il m'amène l'absolution. J'ai très vite compris que la rédemption ne pourrait venir que de l'intellect. Alors se coucher toujours plus tard, garder ses yeux ouverts même si le corps n'en peut plus, être plus forte que le reste. Montrer que l'on se donne du mal. Se démolir. Pour avancer timidement l'idée d'un quelconque mérite. Il aurait suffi que l'on me dise que je n'avais pas besoin de faire tout ça pour prouver ma valeur. Il aurait suffi de me dire que l'on croyait en moi, que l'on savais que j'étais quelqu'un de bien. Il aurait suffi de me dire que l'on m'aimait ainsi, que je n'étais pas coupable du délaissement et des coups. Il aurait suffi de me dire que je ne valais pas moins que les autres. C'est mon sentiment d'illégitimité que je cherchais à faire disparaitre en agissant comme ça. Je me suis cassée les genoux à monter sur les premières marches pour pouvoir crier au monde entier que j'avais réussi, toute seule, à la force de mon poignet et sans ployer. Je me servais de cela comme preuve. Tu vois j'ai fait ça, tu vois je suis prise dans telle école, tu vois je ne vaux pas rien. Mais les soirs glacés, les noms d'écoles prestigieuses et les notes s'effaçaient dans le brouillard pour me laisser dépossédée. Mes preuves se dissolvaient et je me retrouvais à serrer mes mains vides contre mon corps fatigué. Une fois la nuit tombée, tout cela ne valait plus rien et personne ne savait qu'à chaque lendemain, je devais recommencer. Creuser le sol à la force des bras, traquer le mérite, se détruire à force pour obtenir grâce. Sur la feuille, mon cursus est irréprochable. Souvent les yeux des gens s'écarquillent et ils sifflent admirativement entre les lèvres fines mais je sais bien que ça ne veut rien dire. Ce sont des noms d'établissements issus de listes obscures de classement. Pour moi, ça n'a pas vraiment de sens. Je sais que c'était la première école, je sais que c'est le premier lycée mais. Tu crois que c'est vraiment important ? Que c'est ça qui me donne de la valeur ? Je ne vais jamais complètement au bout des choses parce que l'échec me terrifie. Si j'échoue c'est tout mon édifice de légitimité et de mérite qui s'affaisse. J'aurais tout perdu et il faudra recommencer, encore. Je ne veux pas perdre ce que j'ai mis tant de temps à accumuler. L'échec me couperait les jambes. Dans de rares cas, c'est en insufflant l'intransigeance dans mes veines que je suis parvenue à balayer la procrastination de mes doigts. Se blinder, couler du béton contre les parois de son crâne et donner tout ce que l'on a. Ne pas songer à l'échec car il n'est pas envisageable. Tordre son esprit en deux pour lui faire prendre conscience de la situation. Tu ne peux pas échouer. Maintenant, rampe. Tu feras tous les sacrifices qu'il faudra pour y parvenir. Toutes les concessions et toutes les douleurs ne seront rien face à l'errance brutale engendrée par l'échec. Et c'est passé. Les concessions et les douleurs sont fichées dans ma tête dans ma peau mais j'y suis arrivée. J'ai peur de ne plus avoir la force de le faire une nouvelle fois.

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Commentaires
A
Personne ne peut dire que c'est impossible mais on a tellement -tellement- peur, parfois, qu'ils s'émiettent. J'aime beaucoup la phrase. Je vais muter en grenouille. <br /> (merci)
M
"Il suffit juste de trouver le bouton"...oh oui. Trouver le déclic. Et il va venir, je peux te le dire. <br /> Et l'échec. Celui que l'on ne veut pas rencontrer. Une fois qu'on l'affronte, on le connaît un peu..mais la peur reste là, souvent, mais on en est plus forte. On apprend de ses échecs. Et j'ai croisé une phrase une fois qui est restée..."être comme une grenouille et sauter par dessus les échecs"...avancer.<br /> <br /> Tous ces rêves à l'intérieur, personne ne peut dire que c'est impossible.
S
Fort heureusement, chaque réussite est l'échec d'autre chose et j 'ai confiance en toi et comme dis Amélie , ne refais pas comme avant c'est reproduire un même shéma , tu grandis ...<br /> allez ose ose vas y et profites de l'instant de l'eternité de l'instant ;-)
A
Je ne pense pas qu'il faille que tu le refasses comme avant. Qu'il faille faire les mêmes sacrifices, tu vois. Peut être qu'il y a des sacrifices, c'est sûr même, mais ils ne doivent plus te détruire.
La bouteille d'encre noire renversée au fond de l'âme
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