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La bouteille d'encre noire renversée au fond de l'âme
9 octobre 2008

Demie-lettre ouverte

 

  Etre dans cette maison, c'est plonger sous la surface âcre de la mémoire. Il est caché derrière chaque recoin et je le sens jusque dans les draps. Il est partout et son souvenir est comme un manteau que j'enfile sur mes épaules. Tout dans cette maison me rappelle William. Je peux poser mes yeux n'importe où, c'est notre histoire qui défile sous mes paupières. Les sandwichs au nutella ou au salami, le canapé épais et les heures écroulées l'un sur l'autre. Nous avons fait l'amour au pied de ce même canapé, il me semble ; empreints de cette ardeur légèrement angoissée car son frère n'allait pas tarder. Le piano et le morceau qu'il m'avait appris, que j'ai été incapable de retenir. Les heures attablées dans le salon à faire des maths, ses conseils et mon impatience et, à chaque fois, je laissais filer et préférais l'embrasser, et ça l'agaçait. Il me disait qu'après, je n'aurais pas à me plaindre pas si je n'y arrivais pas. Et bien sûr, je me plaignais.

  Quand je rentre dans la salle de bain, je nous revois nus dans la baignoire débordante de mousse, mes jambes croisées sur le robinet. Il disait que ça le rendait fou de voir mes jambes nues et découvertes comme ça. On était jeune et je lui demandais de fermer les yeux quand je sortais de la baignoire. On était jeune mais je crois que je le lui redemanderais aujourd'hui. On s'évaporait dans la baignoire brûlante puis on allait se rincer dans la douche. L'autre jour, mes yeux se sont posés sur la barre collée en hauteur dans la cabine de la douche et je me suis souvenue de nos stratagèmes. Parce que j'aimais faire l'amour avec lui sous l'eau et que je m'en servais pour me tenir. Les gouttes humides sur nos peaux frémissantes et je n'oublierais jamais la couleur profonde de ses yeux. Ses caleçons bleus rayés et tous les vêtements que je lui ai volés.

  Je suis redevenue cette fille un peu décalée dont il est tombé amoureux et c'est une façon de lui rester fidèle à travers les années. Aujourd'hui, j'aime ouvrir sa penderie et piocher dans les pulls qu'il n'a pas emmenés. Le mois de juillet, le soleil blanc et ses bras chaque soir. Je sais que ce n'est pas la meilleure période de notre histoire mais le souvenir que j'en ai est chaud et agréable. Je portais un mini-short en tissu à carreaux, un débardeur jaune délavé et les copeaux de peinture noire restaient collés à nos peaux à cause de la sueur. La chaleur, nos peaux moites et sa peau brune perdue dans l'entrelacs de mes jambes et de mes bras. William est celui avec qui je préfère faire l'amour.

  Vivre dans sa chambre, c'est m'enfermer dans un cocon délicat et douloureux à la fois. Parce qu'hormis la fin, notre histoire a été très belle, mais qu'il n'est plus là, et que sa chambre vide de lui me le rappelle sans cesse. Je me souviens, à la fin, quand je suis entrée dans cette pièce et que j'ai vu qu'il avait ôté de ses murs tout ce que je lui avais fait ; les photos, les dessins, les mots, les textes. Aujourd'hui, il reste un poster et une chaise et d'autres choses perdues ici et là ; parce qu'il est impossible d'effacer ce que nous avons vécu tous les deux, il me semble. C'était mon amoureux et mon plus grand complice.

  Sur son étagère, il y a tous les tomes de la saga de R. Hobb que je lui ai faite découvrir. Chaque particule qui emplit la maison est imbibée de son odeur. Je me souviens des premiers jours, quand nous avions séché le cours de maths pour faire l'amour. Nous avions mis le matelas à même le sol et entre nos caresses, nous mangions du gâteau au chocolat. William était là à chaque seconde, pour mes cauchemars et mes larmes et ses yeux restaient clairs même face à mes mutismes, mes angoisses et mes démons crochus. Il a été la bonne personne que j'ai rencontrée au bon moment puis c'est devenu l'inverse. La roue a tourné avant de basculer à nouveau.

  Je m'applique à n'avoir aucun regret, à laisser au passé ce qui est achevé mais lui, je ne m'y résous pas. Je ne voudrais pas revenir deux ans en arrière et recommencer, non. Je ne veux pas retourner dans le passé mais l'en extraire puis le faire marcher dans mon présent. Tout ce qui m'a attiré chez lui reste intact, il continue de me plaire, de m'attirer et de me fasciner à travers son absence. Ca me grignote tout doucement la poitrine, à pas légers et sans brutalité. Je ne dis rien, je n'en ai pas le droit. Je ne sais même pas ce qu'il en pense, s'il m'a oubliée ou non ; s'il pense encore à moi, si je colore sa mémoire et si parfois, je me rappelle à lui ou non. Je ne le lui demande pas, je passe ses mots sous silence car je n'ai -plus- aucune légitimité.

  Je m'applique à n'avoir aucun regrets mais lui, William, je crois, que je l'aurais toujours dans le creux du ventre. Parfois, quand je me couche dans ce lit que nous avons choisi ensemble, dans ces draps dans lesquels nous avons roulé nos corps, je m'autorise à suspendre le sablier et j'imagine qu'il est à côté de moi. Alors, je me roule en boule et me blottis contre son corps chaud. 

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Commentaires
M
;) <br /> Oui, j'fais pareil hein. Mais ça fait du bien d'le savoir !<br /> Des bisous aussi puisque c'est ça!
A
Du coup, j'ai débarqué en furie dans la cuisine "Papa, pousse-toi, regarde y'a un mec qui découpe dans du papier et c'est de la folie et regaaaaarde !" <br /> <br /> Il ne faut pas me remercier pour mon attention. Si je le suis, c'est parce que ça m'intéresse, parce que j'aime comment tu écris et l'atmosphère qui se dégage de ton blog. On s'y sent bien, je trouve, au milieu de toutes ces couleurs pastelles et douces :) <br /> C'est sûr qu'il y a des personnes qui ne laissent aucune trace, mais qui viennent tout de même. Je pense même qu'il s'agit de la majorité ! Et puis, han, tu fais pareil alors hein !! ;)<br /> <br /> Des bisous.
M
Sidérant, tu as raison, c'est bien le terme adéquat pour Peter Callesen ! =)<br /> <br /> Et oui, je me rends compte effectivement de ton attention. Merci beaucoup ! <br /> Comme quoi je me fie trop aux apparences et au silence. Il y a des personnes qui viennent mais ne commentent pas toujours et j'oublie ces personnes là - alors que je fais de même ailleurs! :)
A
Bah vi, j'suis attentive =)<br /> <br /> (et ça fait 1h que j'arpente le site de Peter Callesen, je ne m'en remets pas!)
M
Oh, merci ! :)
La bouteille d'encre noire renversée au fond de l'âme
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