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La bouteille d'encre noire renversée au fond de l'âme
10 avril 2007

chut

J'ai les mots au bout des doigts, il suffirait que je les secoue pour qu'ils éclaboussent le sol. Comme le sang hier. Pourtant je le sais que le noir ne dévore pas, je le sais bien mais il est entré par les pores de ma peau. Il a tapé contre les parois de mon crâne et il y avait la pensée de ces examens médicaux qui me hantaient, il y avait les repas pris et régurgités. Allez savoir. [Au début j'hésitais à dire vraiment, à raconter. Peur qu'on me prenne pour une folle mais alors à quoi cet endroit servirait ? Comme si jusqu'ici les regards pouvaient me blesser...] Il y a eu le 18 composé sur le combiné, mes excuses maladroites parce que pardon de vous déranger à cette heure. Le Samu bientôt devant ma porte, trois hommes qui entrent. Le plus jeune décolle le mouchoir inbibé de sang que je garde pressé près de ma tempe, je grimace légèrement. Il m'applique une compresse. Nom, prénom, date de naissance, urgence, plaie ouverte sur trois centimètres à l'arcade, allergies éventuelles ... Oui, aux poils de lapins. Je les fais sourire. Je suis contente qu'ils soient là, ils sont gentils. Je vais prendre mes papiers, enfiler un pull et mes chaussures puis monte dans leur camion rouge. J'ai fait ce que j'ai pu pour qu'ils passent un moment sympa, déjà que je les dérangeais ... Mais ils sont partis, ils m'ont laissé à l'hôpital, dans cette salle d'attente miteuse avec les cris d'enfants et les perfusions. Alors sur mon siège en plastique, je n'ai pas pu m'empêcher de laisser couler quelques larmes. Parce que je ne veux pas vivre avec moi. Je m'effraie, parfois. Je n'attends pas longtemps, une infirmière m'indique la salle. Je reste bloquée sur le seuil, il est hors de question que j'aille ici. Le fauteuil est complètement défoncé, la salle est lugubre, elle me fait penser à une chambre froide. La pièce a de trop grandes dimensions par rapport à ce qu'elle contient, l'effet de grandeur qui s'en dégage est oppressant. Les murs sont vilainement carrelés, le fauteuil noir est au centre, des dizaines d'instruments médicaux jonchent la table. Je tremble de faire demi-tour, de pousser la porte battante et de m'enfuir dans la pénombre mais je sens le sang couler contre ma joue. Alors je m'allonge, l'infirmière n'a pas remarqué la larme qui a coulé le long de ma joue, j'ai fermé les yeux. Elle ôte la compresse que les pompiers m'avaient appliqué sur l'arcade puis s'en va. En son abscence, le sang coule sur mon visage et dans le creux de mon oreille. Quand elle revient, l'infirmière essuie maladroitement la rivière grenat sortie de son lit. J'en suis à me demander si je vais avoir mal et combien de temps ça va durer quand elle me pose un masque sur le visage qui recouvre mon nez et ma bouche. Au début je ne comprends pas, j'arrivais pourtant très bien à respirer. C'est au bout de quelques minutes que je comprends, quand ma tête décolle. Anésthésie locale. J'ai saisi chaque fragment de sensation pour me souvenir de cet envol. Au début on ne se sent pas partir puis d'un coup notre conscience pique doucement et nous nous rendons compte que nous ne sentons plus vraiment nos membres. Je peux bouger mes jambes et mes mains mais au ralenti et la sensation épidermique est atténuée. Ensuite c'est l'esprit qui se barre, comme un grand sac qui craquerait et dont les idées s'envoleraient d'un coup. Je me surprends à sourire sous cet effet inattendu. Je ne sais pas combien de temps je reste ainsi. Des prénoms, des pensées tournent sous mon crâne mais c'est un mer géante et tiède dans laquelle je me baigne. C'est agréable comme sensation, c'est "confortable", comme si l'on était assis dans un siège cotonneux. Petit à petit la conscience réémerge, des bruits de voix s'enfonce dans mon esprit mou puis la signification de ce qui est dit me parvient. Je comprends que je suis en train de me réveiller, j'inspire à fond dans le masque pour repartir mais l'infirmière a du réduire le débit du mélange gazeux car ma conscience ne cesse de devenir plus lucide. Bientôt je sens presque l'aiguille passer dans ma chair, je grimace. Elle me pose quelques questions. Comment dire ... j'entendais ce qu'elle me demandait et je le comprenais mais à peine comme si le sens apparait au loin, flouté. Pourtant, presque indépendamment de mon cerveau, j'hôchais la tête, de haut en bas, ou de droite à gauche selon les questions. Puis l'infirmière a ôté le masque de mon visage. Encore embrumée je n'ai pu m'empêcher de soupirer que c'était trop bien. Un assistant à éclaté de rire. Mélange d'azote et d'oxygène. L'infirmière a gardé une compresse plaquée contre ma plaie, elle m'a demandé si j'étais hémophile. A ma réponse négative, elle m'a dit que j'avais un problème de coagulation du sang et qu'il faudrait que je fasse des examens. J'ai rangé ses remarques dans un coin de ma tête, un de ces fameux tiroirs qui regorgent de conseils avisés que je ne veux pas voir. Puis j'ai évité les miroirs jusqu'à la pièce qui devait me servir de chambre. Ils doivent me laisser sortir à six heures, il est une heure du matin, je ne me suis pas vue dormir là. Une chaise longue et dure en guise de lit. Il n'y avait de doux que le sourire de l'infirmière et la couverture verte. Je l'ai appelé pour qu'il vienne me chercher, je me suis relevée pour prévenir l'accueil que quelqu'un venait puis ai rejoint pour la seconde fois la salle d'attente. Les gens m'ont dévisagé, je n'imagine pas dans quel état je suis. Je regarde mes mains et m'aperçois que j'ai du sang sous les ongles.  Je repense au bas du papier peint éclaboussé par les gouttes de sang qui mouraient du haut de ma joue. Je me revois à éponger le sang sur le sol. Je visualise la lame sur le rebord du lavabo.
  Je ne sais pas si un jour j'avouerais que c'est moi qui me suis entaillée la peau ainsi jusqu'à avoir besoin de points de suture.
  Sûrement pas.

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