Un souffle
Dès que les choses commencent à s'entasser, je me prends immanquablement les pieds dedans et m'étale. La fatigue partout, dans la nuque, les jambes, les bras, le dos, le visage, les yeux. Pendant qu'il m'expliquait le cours, je hochais mécaniquement la tête en luttant de toutes mes forces pour ne pas m'endormir. Et quand je suis partie, je me suis rendue compte que je n'avais rien assimilé. Je ne me souvenais même plus de ce qu'il m'avait dit. Puis j'ai lu quelques articles du journal avant d'arrêter car je ne retenais rien du tout. Mes yeux avalent les lettres noires mais ça ne s'imprime pas et arrivée au point final, je suis incapable de donner le sujet de l'article. Quand la fatigue est trop lourde, quand les forces s'amenuisent. Ça oscille mais mes oscillations ont toujours été trop prononcées. Mon moral flanche et je fais des choses stupides, je dérape. Je prends mon sac, enfile mon blouson et sors de la salle. Ils me regardent tous avec des yeux ronds et effarés et je les trouve bêtes. Ils n'ont jamais franchi la moindre limite. Ils ne savent pas que derrière, il n'y a rien de plus. J'en ai dépassé des limites, je me suis retrouvée dans des situations bancales. Je sais que ça ne change strictement rien. Je les trouve ignorants de la douleur qui déchire. Le réveil sonne chaque matin et les quelques minutes qui suivent, je me demande pourquoi je me lève, ce que je vais faire de ma journée, ce que ça va m'apporter. Puis je me dis de fermer ma gueule, de me lever, de fermer ma gueule, encore. Puis je pose le pied par terre et enchaine les gestes mécaniquement. Jusqu'à ce que le froid vienne me mordre le visage. Ça va passer. Il faut simplement dormir, prendre un peu de temps pour soi. Mais je n'en ai pas, du temps. J'ai une semaine d'examens qui débute lundi prochain et des devoirs qui s'entassent jusqu'à ressembler à cette montagne infranchissable. Je cherche le bouton Pause mais les journées qui se succèdent me font comprendre qu'il n'y en a pas. Il faudrait du temps pour soi mais il n'y en a pas. Alors, en attendant, il faut tenir. Même si je ne sais pas, et n'ai jamais su, le faire. Moi, je craque toujours de toutes parts. Je n'arrive pas à visualiser l'instant où je pourrais me reposer. Une masse de travail et d'exigence qui assomment. On planifie des séances de révision, on met des cahiers en plus dans nos sacs mais ça ne fait que cristalliser la tension. Un jour, j'enfile une jupe et des bottes puis le lendemain un jean et un blouson masculin mais ça ne va jamais. Le sol se dérobe sous mes pas et ça m'engloutit de tous les côtés. Je me sens tellement bête et petite. Tellement peu à la hauteur. A chaque cours, à chaque épreuve, j'ai envie de fuir en courant parce que ce sentiment m'obsède. Parce que je tremble du désir de hurler à tous les visages que ça ne sert à rien, que je ne suis pas à la hauteur. Selon le raisonnement que je préfère leur annoncer la vérité avant qu'ils ne la découvrent et soient déçus. C'est une période de flou total et non, ça ne me convient pas. Je me sens menacée et bousculée. Et dans ces situations, je n'ai plus que l'envie de m'effacer et de disparaitre dans un recoin invisible, couper le son et me noyer dans la pâte épaisse du temps qui m'enrobe. Je prends trop de place, je n'arrive plus à respirer. Et je sais que, quand je n'arrive plus à respirer, je fais n'importe quoi.